30. mai, 2015

Texte

                     

                                Dans son article intitulé Incantations pour l’instant, publié dans Le journal hebdomadaire, n°238 du 20 janvier 2007, la journaliste et critique littéraire Kenza Séfrioui écrit:

Les jours et les nuits de Mohamed Larbi Bouharrate se ressemblent dans l’angoisse d’un exil existentiel.

''J’écris la nuit / les jours entre / une parenthèse et / deux cris".  Ainsi commence  "Des jours et des nuits", second recueil de Mohamed Larbi Bouharrate, édité à compte d’auteur chez Racines Editions, et qui souffre aujourd’hui d’un problème de diffusion suite à un conflit entre l’auteur et l’éditeur. Le poète, originaire de Larache et enseignant aux Pays-Bas, efface délibérément les oppositions  classiques entre le jour et la nuit. Pas de tonalité diurne ni nocturne dans le choix des thèmes. Les deux parties du recueil,  "Des Jours" et  "Des Nuits" se rejoignent dans un même travail de la langue qui se joue de la syntaxe , casse la phrase de vers en vers, recherche le mot rare, explose les possibilités du sens à travers les jeux de mots. Comme dans Elégie du D:  "Délit Déli Dél … / Dé passoire de / désespoir insomniaque / D de désastre et / de dires lapidaires".

Le sens émerge de ce jeu incantatoire sur le mot et le rythme qui déroute le lecteur et lui coupe le souffle. La seule nuance entre les deux sections explique Mohamed Larbi Bouharrate, c’est le ton:  "Des jours" rassemble des textes plus anciens, plus proches de la rébellion qui s’exprimai dans mon premier recueil,  "Je suis nous". "C’était un cri, une rébellion contre le statut quo, le bâillon qu’on nous imposait, les bâtons dans les roues qu’on nous mettait lorsque j’étais étudiant en lettres à Rabat": "Je te porte subrepticement en moi en ma / terrible solitude de nuit de jour d’homme / bete de la race des jambes croisées sur les / blessures et l’écriture torture des mémoires / clandestines (…) garderai-je encore / la vois des corps / au cœur / des coffres-forts!"

Quant à la seconde partie, elle se veut plus philosophique, plus intime, dans une langue moins  "coup de poing". Les poèmes se font plus courts, flirtant avec la maxime:  "C’est l’histoire / à dos de lamentations / murailles conquérantes / infléchies moissonnant / à l’arrachée / une foule en éclats / plein sud…".  Si les sentiments sont moins à vif, le "je" devient un point de vue qui aspire le monde dans son intimité. Pas d’épanchement lyrique, mais la démarche inverse, qui permet d’ouvrir ces poèmes concis à un éventail d’interprétations. Les thèmes favoris de Mohamed Larbi Bouharrate sont le temps, la mélancolie, la cassure. On peut y lire l’exil, l’angoisse métaphysique, l’incertitude, le silence, comme on peut y lire aussi la sensualité, le rêve, la tendresse, le plaisir des matières belles et nommées par leur nom. Chacun de ces poèmes difficiles peur se lire comme un jaillissement de sens, et être apprécié aussi bien isolément qu’en écho aux autres. Comme dans le dernier du recueil:  "Partir / circonvolution interne déployant / bornes et ligaments / un voyage frontalier où / se croisent méandres / ici trafiquant ruines / vertiges défilant ailleurs / goélands galions ivres / de tendresse au coeur / de l’instant". 

Le livre est disponible à Rabat, dans les librairies Kalila wa Dimna, Livres services, Aux Belles Images, et à Casablanca au Carrefour des livres''.

Kenza Sefrioui